Jules et son grand frère, Martin, sont partis en Norvège avec l’objectif de gravir le Preikestolen, cette falaise vertigineuse qui surplombe les eaux du Lysefjord. Officiellement, le benjamin veut remplir son carnet de croquis, inspiré par ces paysages à la fois hostiles et enveloppants.
Mais peut-être ce périple sera-t-il également l’occasion d’enfin parler avec ce grand frère qui semble s’enfermer de plus en plus dans ses obsessions. Car pour Martin, il ne s’agit pas d’un simple voyage touristique : il espère une communion avec les dieux nordiques, attendant d’eux un signe pour se raccrocher à la vie.
Jean, l’auteur et Jules, son double fictif
La nature de cet album, Jean Cremers ne s’en cache pas : il s’agit d’une autofiction.
« Chaque œuvre, selon moi, recèle une tranche de vie ou une émotion ressentie par son auteur. Une petite part de lui. J’en suis encore aux prémices de ma vie et je pensais manquer d’expériences pour dessiner quelque chose de suffisamment évocateur pour le lectorat. Et puis j’ai effectué ce voyage en Norvège avec mon frère, et ce fut une évidence. Les liens au sein de ma famille, de ma fratrie plus précisément, sont puissants et dignes d’être couchés sur papier. Jules, c’est donc moi. Enfin, pas tout à fait : j’ai une grosse barbe, moi, en vrai ! (rires) Plus sérieusement, le personnage de Jules s’est éloigné de moi au fil du scénario pour devenir un élément-clef qui fait évoluer le protagoniste principal, Martin ».
Cet entrelacement entre le héros de papier, Jules, et son homologue au bout du crayon, Jean, permet au lecteur de se plonger immédiatement et intensément dans les pages de ce road-trip salvateur qui questionne l’identité et les relations humaines et fraternelles plus particulièrement.
Une fraternité entre deux frères différents
Le héros en effet, celui autour duquel gravite une tension de plus en plus prégnante, est ce grand frère secret et sombre. Le lecteur comprend rapidement que Martin s’est tourné vers la mythologie nordique pour canaliser un évènement douloureux vécu quelque temps auparavant. Une religion que Jules, son cadet, comme le reste de la famille, ne comprend pas. C’est là toute la question de la fraternité: tenter de comprendre ce qui s’éloigne de ses croyances pour aider au mieux quelqu’un que l’on aime.
« Vague de froid, c’est un peu de Martin et de moi, un peu de deux frères différents. J’aimerais qu’après la lecture de ce roman graphique, il me dise : “Tu m’as compris”. Ce serait là ma réussite. Le “vrai” Martin est en effet féru de mythologie et d’histoire viking, fasciné par le Valhalla, et il vénère les dieux nordiques alors que notre famille est catholique. Il y a trouvé une ligne de conduite et une force. C’est sa quête de sens personnelle et je pense qu’il a trouvé ce qu’il cherchait »
La Norvège, un personnage à part entière
« Ce pays, pour y être allé plusieurs fois, est un lieu presque sacré. La nature prend de la place, on est remis à la sienne en un temps record, quand elle se déchaîne. La vague de froid, je l’ai vécue, transi, figé. Elle paralyse, tout en nous faisant nous sentir vivant. Quand mon frère m’a invité à l’accompagner, je ne pensais pas sortir autant de ma zone de confort et apprécier cela. Plus que son horizon immaculé, la Norvège invite au voyage, et ce thème coulait de source pour moi : les personnages allaient rencontrer des obstacles, avoir des choses à voir, à raconter, à encaisser. C’est la Norvège qui donne le ton et bouscule les protagonistes. »
Martin et la mythologie nordique
Cette religion fait intervenir des dieux humains, qui ont leurs défauts. Dans le récit, Martin semble avoir trouvé dans ces croyances une ligne de conduite déculpabilisante qui s’éloigne d’autres religions écrasantes où les erreurs et errances de l’Homme sont davantage pointées du doigt. La nature y est aussi sacrée et apprendre à y déceler des signes peut être une voie de questionnement. Dans « Vague de froid », les animaux sont omniprésents et presque métaphoriques : poisson, ours, mouton et surtout corbeau sont autant de signes à interpréter.
Le but de ce voyage : gravir le Preikestolen
Annoncé dès le départ, le but premier des deux frères en débarquant en Norvège est l’ascension du Preikestolen. Si Jules n’y voit là, au début, qu’une excursion un peu physique, il comprend très vite que son frère veut l’arpenter et arriver au sommet pour une raison bien précise. À l’image de la falaise abrupte, la relation entre les frères monte en tension et rencontre des difficultés. Car Jules n’a qu’une envie: pousser son frère à évoquer ce grand malheur qui l’accable, alors que ce dernier cherche à l’enfouir.
« "Vague de Froid" n'est pas un road-trip conventionnel »Jean Cremers