Ils font des vos enfants des héros !
Ils ont 13 ans en 1940 dans une France occupée. Ils redressent la tête quand leurs parents se résignent. À l'heure où paraît le tome 7 des Enfants de la Résistance, plongée dans les coulisses de la BD qui fascine les collégiens.
Par Romain Berthes pour Le Point
Alors que les adultes cèdent au renoncement, trois gamins audacieux et téméraires refusent de se résigner face à une situation périlleuse, voire désespérée. Et s'engagent, malgré les dangers, à construire le monde de demain… La chronique d'une lutte contre un virus planétaire ? Ou contre le réchauffement climatique ? Non : Les Enfants de la Résistance, un véritable phénomène chez les enfants et les jeunes adolescents. Avec 1 million d'exemplaires de leurs aventures écoulés, c'est même, juste derrière l'insupportable et attractive Mortelle Adèle, l'une des plus belles réussites éditoriales pour la jeunesse. Pas tout à fait le même propos, pourtant. Pas de smartphone, non plus. Mais une sombre période de notre histoire réenchantée par des enfants. Les héros de la saga, François et Eusèbe, ont 13 ans. Ils vivent en 1940 dans le petit village imaginaire de Pontain-l'Écluse, situé en zone occupée, entre Langres et Dijon. Bientôt rejoins par Lisa, une jeune Berlinoise dont les parents, des opposants au nazisme, ont été tués lors d'un bombardement, ils décident de se lever contre l'envahisseur allemand à l'insu de leurs familles et amis, tétanisés par la peur ou l'indécision. Les trois enfants mettent en place un réseau local, Le Lynx, qui, de l'impression de tracts à des actes de sabotage spectaculaires en passant par l'exfiltration de juifs ou de prisonniers, va prendre une ampleur inattendue au cours des années et des tragédies. Dans le septième volume de la série, Tombés du ciel, qui paraît ce 12 mars, le trio va ainsi mobiliser son énergie et ses ressources à retrouver, avant les nazis, des aviateurs américains rescapés du crash de leur bombardier.
Ce succès, depuis la sortie du premier volume en 2015, personne ne l'avait vu venir. Et surtout pas les auteurs de la saga, le dessinateur Benoît Ers et le scénariste Vincent Dugomier. C'est une histoire familiale commune qui a déterminé les deux complices belges à choisir de traiter la Résistance à la hauteur d'enfant. "Benoît, qui est un passionné de la Seconde Guerre mondiale, et moi avons eu des grands-parents qui ont participé à des actes de résistance", précise Dugomier. Mais pourquoi la France et pas la Belgique pour situer l'action de leur série? "D'abord parce que mon grand-père avait fuit la Belgique et s'était retrouvé dans un maquis en France, explique Ers. En outre, les visages de la Résistance étaient bien plus hétérogènes et passionnants à étudier en France, en particulier l'engagement de la jeunesse."
Le prix à payer.
Les Enfants de la Résistance sont une formidable illustration de l'adage sartrien : "Jamais nous n'avons été aussi libres que sous l'occupation allemande." François, Eusèbe et Lisa font ainsi leur éducation politique et sentimentale en accéléré, au prix de leur jeunesse, dans un choix assumé. Plongés dans les conflits parfois byzantins entre les différentes factions, communistes ou gaullistes, de la Résistance, le trio doit aussi s’accommoder de cœur qui ont leurs raisons, puisque Eusèbe et Lisa tombent amoureux sous le regard d'abord contrarié, puis empathique, de François : "La guerre avait volé notre enfance. Mais amis avaient décidé qu'elle ne volerait pas leur adolescence et ils avaient raison."
Certes, la série ne fouille par la zone grise propre à l'Occupation, où la frontière entre le héros et le salaud est parfois ténue, aussi profondément que le faisait son pendant télévisuel (pour adultes) Un village français. Mais Les Enfants de la Résistance jouent sur une complexité de situation et une vraisemblance de ton qui ne font pas l'économie d'une violence et d'un réalisme parfois crus. Les jeunes héros vivent dans un cadre idyllique, magnifié par le trait d'Ers, hérité de l'âge d'or franco-belge. Mais la mort les guette à chaque pas et peut frapper leurs proches de façon aussi brutale que cruelle. "Écrire de la fiction pour un très large public ne signifiait pas de s'affranchir d'une certaine réalité. Et cela passe par la nécessité de faire disparaitre de simples figurants, mais aussi des personnages centraux de notre histoire" avance Benoît Ers. "Un certain nombre d'anciens résistants que nous avons rencontrés et qui ont lu la série ont insisté sur ce point, renchérit Dugomier. Il fallait montrer le prix à payer pour entrer dans la Résistance."
Malgré le scrupule historique minutieux qui a guidé les auteurs, la reconstitution n'a rien de didactique ne de pesant. "Très rapidement, je me suis aperçu que la difficulté vient de ce que l'on croit connaitre la seconde Guerre mondiale, alors que cette connaissance est souvent issue des œuvres de fiction qui en ont été tirées, indique Ers, qui s'est longtemps demandé pourquoi les premiers essais graphiques de ses héros ne fonctionnaient pas. C'est en regardant attentivement certaines photos que je me suis rendu compte que je faisais leur ceinture trop basse. Les enfants portaient leurs pantalons beaucoup plus haut dans les années 1940 !""Je suis reparti de zéro, ajoute Dugomier. J'ai lu et relu Robert Paxton et Henry Rousso, mais aussi Olivier Wieviorka, qui offre une approche assez renouvelée de cette époque. Et, pendants longtemps, j'ai eu la crainte de commettre des impairs historiques." Avant que cette crainte ne soit dissipée lors d'une conférence au Mémorial de Caen, où les auteurs étaient entourés de pointures en matière d'histoire de la Résistance. "L'un d'entre eux à demandé à Vincent ce qu'il faisait, ce souvient Ers. Vincent a dit qu'il faisait de la BD et que sont travail consistait très modestement à se documenter, à combler certains blancs et à faire sa soupe ensuite. Et l'historien lui a répondu : "Qu'est-ce que tu crois? Nous aussi!""
La force de la saga, ce sont également les dossiers historiques qui complètent chaque album, composés de photos et documents d'époque constituant un renfort parfait pour les enseignants. Mais aussi les intrigues haletantes qu'elle propose, à plusieurs niveaux de lectures, et qui exploite à plein l'extraordinaire profusion de signes associée à l'Occupation. "La guerre était également une guerre des images entre occupants et résistants, ce qui offre des ressources précieuses pour une bande dessinée!" confirme Dugomier. Les repères chronologiques sont notamment scandés au fil de la série par des affiches placardées sur les murs, qui exhortent à s'engager dans la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, puis annoncent une exposition sur "le Juif et la France" ou la création du STO. Sans parler de l'apparition des première étoiles jaunes ou encore ce mot déchirant écrit sur du papier à cigarettes et envoyé par une main anonyme depuis un train bondé sur le chemin de la déportation ("S'il vous plait, ne nous oubliez pas")
"Ré-invention de soi".
Si l'Histoire a conservé le souvenir de jeunes résistant, elle n'a pas gardé la trace des réseaux qui auraient été dirigés par des enfants - seule concession intégrale, et géniale, faite à la fiction par les auteurs. Dans Aurais-je-été résistant ou bourreau?, Pierre Bayard se demandait où résidait le mystère du "devenir-résistant" et de l'engagement au péril de sa vie. La solution, concluait-il, tient dans la capacité de chacun "à s'extraire du cadre qu'il constitue pour lui même", capacité "qui n'est donc pas seulement l'invention d'une action sans modèle, mais aussi, pour ma part, une ré-invention de soi". Ers et Dugomier ont bien compris que cette faculté d'imagination, bien supérieure à la moyenne, était le privilège de la jeunesse. L'enfance, ou le lieu authentique de la résistance.