À l'occasion de la sortie du premier tome de la série Karmela Krimm, retrouvez une interview exclusive du scénariste Lewis Trondheim ainsi que du dessinateur Franck Biancarelli !
Sur une idée originale de Franck Biancarelli, le dessinateur de Karmela Krimm, Trondheim signe son entrée dans la collection « 3e Vague » avec un polar à l’accent marseillais, teinté de réalisme social et mené tambour battant par une détective privée attachante.
Lewis Trondheim dans « 3e Vague », c’est un événement…
LEWIS : Gauthier van Meerbeeck, le directeur éditorial des Éditions du Lombard, m’a demandé un jour si cela m’intéresserait d’écrire un scénario de Thorgal. Même si j’aime les défis, j’ai préféré décliner son offre. Mais puisqu’il me considérait comme un auteur potentiel pour Le Lombard, nous lui avons proposé ce projet.
Franck Biancarelli, comment est née Karmela Krimm ?
FRANCK : J’avais écrit une histoire, je trouvais que sa mécanique fonctionnait bien mais j’avais l’impression qu’il manquait quelque chose…
LEWIS : Franck m’a alors envoyé son scénario pour avoir mon avis, et je lui ai proposé de le réécrire.
FRANCK : Nous avions déjà travaillé ensemble sur un album de la série Infinity 8, j’étais très heureux à l’idée de renouveler l’expérience !
En quoi l’intervention de Lewis a-t-elle fait évoluer votre histoire ?
FRANCK : Les situations que j’avais imaginées étaient trop conventionnelles. Lewis a inversé les rôles en mettant la femme au premier plan. Dans mon projet, c’est Tadj, un ancien flic, qui était le héros. Ses personnages proposent des situations inédites et sont plus puissants que les miens.
LEWIS : J’aime bien la filleule de Karmela, qui effectue son stage de troisième à ses côtés. Elle s’incruste dans une histoire de détective, ce qui permet d’introduire quelques surprises et des quiproquos.
Lewis, en lisant Karmela Krimm, on pense à une autre de vos héroïnes, Maggy Garrisson…
LEWIS : On peut parler de cousinage entre ces deux séries. Dans les deux cas, j’utilise volontiers le texte narratif pour exprimer les pensées des personnages. Mais le trait de Franck est plus réaliste que celui de Stéphane Oiry, le dessinateur de Maggy Garrisson, et j’insiste plus sur l’arrière-plan familial de Karmela.
La dimension sociale est plus marquée dans Karmela Krimm ?
LEWIS : Oui, mais ce n’est pas pour autant un essai sur la vie dans les cités de Marseille ! Je tenais à mettre du punch dans les relations entre les personnages, à la manière des buddy movies (« films de potes » — NDLR). Je suis un amateur de thrillers, et j’accorde autant d’importance aux acteurs qu’à l’intrigue. L’ossature d’un récit est essentielle, mais il faut mettre de la chair autour.
Franck, comment définiriez-vous votre style graphique ?
FRANCK : Il est plutôt réaliste. Il existe deux catégories de réalisme. L’un tend à la caricature, comme celui de Giraud, le dessinateur de Blueberry. L’autre recourt plus volontiers à la synthèse et accorde moins de place aux détails. C’est le cas de dessinateurs américains comme Milton Caniff ou Alex Raymond, les deux grandes références du genre. Je me situe plutôt du côté de la tradition américaine, même si j’ai envie de raconter des histoires qui se déroulent ici et maintenant.
Vous n’avez pas été frustré de confier le destin de vos personnages à un scénariste ?
FRANCK : Pas du tout ! Cette idée d’histoire me trottait dans la tête, mais je suis très content qu’elle ait pris cette forme.
Vous aviez envie d’évoquer votre ville natale, dans laquelle vous vivez ?
FRANCK : Je ne voulais pas ressasser les éternels clichés sur Marseille. Je tenais à montrer différents quartiers éloignés des lieux touristiques habituels. Je souhaitais aussi mettre en scène certains aspects moins connus, comme ces vieux qui arrondissent leurs fins de mois en planquant de la drogue dans leur appartement. On les appelle des « frigos ». L’idée a plu à Lewis et il l’a gardée.
Lewis, on ne vous savait pas amateur de football…
LEWIS : Je regarde la Coupe du monde et quelques grands matches à la télé, mais ça ne va pas plus loin ! Dans cette histoire, j’ai mélangé la fiction et la réalité. Perrini n’est pas le véritable nom de celui qui a pris en main les affaires mafieuses à Marseille depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, même s’il y ressemble. Comme dirait le générique des feuilletons télévisés, « Toute ressemblance avec des personnes réelles ne saurait être que fortuite »…
Comment vont évoluer les rapports entre les personnages ?
LEWIS : La relation entre Karmela et Tadj est strictement professionnelle. Même s’ils finissent par s’estimer malgré leur différence de parcours, il n’y aura pas d’histoire d’amour entre eux.
Vous avez déjà écrit les prochains scénarios ?
LEWIS : Nous avons signé un contrat pour trois albums. Je tenais à boucler une intrigue par tome afin que le lecteur ne soit pas obligé d’attendre dix ans avant de connaître la fin de l’histoire. Je peux déjà révéler les titres des deux prochains : Neige écarlate et Mademoiselle Green. À chaque fois, j’utilise un nom de couleur. La plupart des lecteurs ne feront pas attention à ce détail, c’est un petit jeu qui m’amuse…